« Tout autour de moi, chacun parle de sa vision du monde. Dire son opinion est une activité for répandue qui renforce l’idée que la vie est un grand spectacle où le bien et le mal se rencontrent en faisant semblant de ne pas se reconnaître.» […]
Étudiante à l’université, je pensais que la lucidité était ce qu’il y avait de plus précieux pour quiconque prétendait être responsable de sa vie et intervenir dans les affaires de la cité au nom de la justice et du respect de tous. La lucidité était alors composée du désir de bien faire à partir d’un certain nombre d’informations qui, une fois analysées, permettaient de juger les politiciens et les lois dont ils accablaient souvent le peuple. Être lucide ne donnait pas le droit de se moquer des gens qui ne l’étaient pas. Être lucide signifiait avoir en main des éléments de preuves pour lutter contre l’oppression et l’aliénation. La lucidité était un instrument de libération, il était normal de vouloir la partager avec tous ceux et celles qui pourraient en profiter.
Aujourd’hui nous sommes plusieurs à nous dire lucides, à pouvoir correctement juger du bien et du mal, pourtant rien ne résulte de cet amas de consciences juxtaposées, chacun étant flanqué d’une solitude impeccable, et d’un à tout prendre pour soi qui semble toujours être le résultat de circonstances atténuantes. Aujourd’hui, une partie de l’âme seulement nous émeut, ignorante et smiling. Une toute petite partie d’âme que nous portons comme un révolver à la hanche et que nous dégainons rapidement au nom de notre individualisme sans horizon. »
Extrait de Hier, un roman de Nicole Brossard.