Note: Pour fêter son dixième anniversaire et pour justifier son existence, le blogue ni vu ni connu s’offre une nouveauté: des fictions instantanées. Inspirées par des photographies, la plupart du temps saisies par l’auteure de ce blogue, ces fictions seront publiées à une fréquence indéterminée (c’est à dire le plus souvent possible, mais on ne se fait pas d’illusion).
«T’es pas tout seul, tu sais.»
Elle lui dit ça pour le rassurer, parce qu’elle le sent tendu. Il le sait, mais c’est plus fort que lui: la remarque sonne comme un reproche. Il se verse un autre verre de vin en tentant de se raisonner. Elle ne sait pas. Elle ne peut pas savoir. Il est toujours prudent. Il prend soin de justifier ses retards. Il enlève toujours la boue de ses chaussures avant de revenir à la maison. Et puis son travail est si intense! Il est constamment sollicité par ses collègues. Quand il rentre à la maison, on dirait que les enfants le font exprès et se chamaillent avec plus d’intensité. Leurs cris lui donnent mal à la tête. Il doit se retenir pour ne pas hurler plus fort qu’eux.
Ça lui a pris tout d’un coup, il y a quelques semaines. Il s’est levé de sa place à l’arrière du bus et a sonné pour demander l’arrêt. Le chauffeur, habitué de le voir descendre près de chez lui, l’a regardé s’éloigner d’un air confus.
Un petit détour de rien, une marche prolongée, un répit entre le travail et la maison. Les jours commençaient à être plus longs et c’était agréable de passer du temps au grand air. Le lendemain, il est descendu un arrêt plus tôt. Le surlendemain, ce fut un autre arrêt encore plus distant. Maintenant, plusieurs jours par semaine, il quitte le travail tôt, sans prévenir personne.
Le détour lui a fait découvrir un boisé dont il ne connaissait pas l’existence. Les sentiers étroits permettent de déambuler longtemps, à bonne distance des maisons de sa banlieue. Un grondement sourd provient de l’autoroute avoisinante, mais dans cet endroit, le son a une tonalité agréable. Quelque chose d’étouffé et d’enveloppant, comme s’il était au fond d’un lac. Dans le tunnel qui passe sous la rue, ça sent le métal, la bière et l’humidité. Des pistes de cerf et des traces de pas marquent la boue. T’es pas tout seul.
Il n’a pourtant encore croisé ni animal, ni humain.
Ça le réjouit.
Un jour, bientôt, il le sait; il ne rentrera pas à la maison.
Martine! I’m sorry I hadn’t read these when I saw you so we could talk about them — they are terrific! I hope you’ll keep going…maybe there could be a bilingual edition someday! And early felicitations on your anniversary. That’s quite a milestone!
Merci Beth and thanks for making the effort of reading/translating them! I may try to do some in English since I have my own private editor at home ;) And your blog is always an inspiration for good writing and creative endeavours.
It would be fun to hear you read these aloud in French — adding an .mp3 wouldn’t be too much work ;-)
@Beth: Mmm… I’ll have to think about that one ;) Not sure I could stand hearing my voice. The new story I just published (the video one) came up to me in English, so English it is!